CHAPITRE XXVIII
Dans la salle de repos des pilotes, Jaina Solo observait le hangar d’atterrissage auxiliaire. D’où elle était, elle voyait la navette de classe Lambda rangée entre deux ailes X. Elle avait été amenée à portée des rayons tracteurs du Chimaera par une navette impériale.
Anni Capstan et Jaina avaient localisé la navette. Jaina avait eu du mal à la reconnaître, à cause des excroissances qui la couvraient, semblables à des algues et à des bernacles. Comment l’équipe de secours s’y prendrait-elle pour ouvrir l’écoutille ?
Quand la navette eut atterri, les ailes X reçurent l’ordre de se poser aussi. Des techniciens en combinaisons étanches les firent sortir des vaisseaux. Toutes deux furent examinées pour vérifier si des formes de vie étrangères ne les avaient pas contaminées.
Ce n’était pas le cas. Les techniciens les laissèrent partir. Anni s’en fut à vive allure. Jaina ne doutait pas qu’elle eût déjà déniché une partie de sabacc, quelque part. Les membres des Vestiges n’avaient qu’à bien se tenir !
Jaina resterait dans la salle de repos et observerait ce qui se passait. Elle se souvenait bien d’Elegos, ayant voyagé avec sa mère, Danni et lui avant de rejoindre l’escadron. Le calme dont il faisait preuve l’avait toujours impressionnée.
Pendant ses vols de reconnaissance autour de la navette, elle avait entendu l’enregistrement en boucle de la voix d’Elegos. Il avait l’air normal, satisfait même. Elle avait espéré le voir sur le siège du pilote ou percevoir sa présence à travers la Force… Espoir déçu. Avant l’arrivée de la navette, elle ignorait tout de la mission d’Elegos auprès des Yuuzhan Vong. Son choc devait perturber ses perceptions.
— Ce qu’ils ont fait est inhabituel.
Jaina se tourna vers Jag Fel. Le jeune homme portait une combinaison de vol noire avec des rayures rouges sur les manches et les jambes. Jaina aurait eu du mal à croire qu’il était le neveu de Wedge si elle n’avait pas vu une certaine ressemblance entre eux au niveau du nez et des yeux.
— Tout ce que font les Yuuzhan Vong me semble inhabituel. Voilà une heure que les techniciens examinent la navette. Je doute qu’ils puissent en apprendre davantage sans l’ouvrir.
— Exact. Mais ce n’est pas pour ça qu’ils prennent leur temps. Ils ignorent ce qu’il y a dans l’appareil. En cas de danger, ils ne veulent pas être blâmés.
— A votre ton, on jurerait que la prudence est une mauvaise chose.
— Les techniciens veulent seulement réduire l’incertitude. Mais ils perdent du temps. Nous sommes en guerre, le risque est partout. Parfois, il faut foncer si on veut gagner !
Jaina se tourna vers lui.
— En théorie, vous avez deux ans de plus que moi, mais vous parlez comme si vous étiez assez vieux pour être mon père !
— Pardonnez-moi. Je prenais en compte vos réussites, pas votre âge.
Elle sentit la colère l’envahir.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous êtes une Jedi. Et une pilote de grande classe dans un escadron d’élite. Je me suis trompé en supposant que vous étiez plus que ce que vous êtes.
— Je ne saisis toujours pas.
Fel soupira.
— Dans la société chiss, l’adolescence n’existe pas. Les enfants mûrissent vite et assument rapidement des responsabilités d’adultes. Les enfants humains élevés avec eux ont reçu la même éducation. Intellectuellement, je sais que c’est différent dans la Nouvelle République, mais…
— Vous pensez que je suis une gamine ? Que je suis faible, ou un truc de ce genre ?
Fel détourna le regard. Jaina vit qu’il rougissait légèrement, ce qui le rajeunit d’un coup.
— Non, pas faible. Vous êtes déterminée et courageuse, mais vous manquez de…
— De ?
— Vous n’êtes pas austère.
Jaina faillit lui répondre qu’elle l’était assez pour eux deux, mais elle s’abstint.
— Non. Enfin, par moments, si. Mais être austère est un tel boulot !
— C’est exact. Quand mon oncle m’a serré dans ses bras à cette réception… Il me connaissait depuis une heure à peine ! Il a été étonné d’apprendre qui j’étais, et en un rien de temps… Chez moi, les hommes ne sourient pas. Et voilà qu’au milieu d’une situation fort délicate, mon oncle était ravi de me rencontrer ! Non parce que j’étais un allié, mais parce que j’étais le fils de sa sœur. Il m’a accueilli à bras ouverts. Pourtant je sais que le départ de ma mère l’a profondément blessé.
Jaina lui posa une main sur l’épaule.
— Wedge est ainsi. La plupart des gens, en fait. La vie est trop dure pour ne pas apprécier les bons moments. Apprendre que sa sœur allait bien a dû lui faire grand plaisir. Peu importe si ça va mal. Une tape sur l’épaule, un sourire, une plaisanterie aident à diminuer la tension.
— Chez les Chiss, les réjouissances sont réservées à la fin des taches et des missions.
— Et si c’est une mission sans aboutissement ?
— Les réjouissances ne sont pas sincères.
— C’est faux. Elles sont nécessaires.
Elle sentit un frisson parcourir son échine.
C’était un beau garçon ; son arrogance, soutenue par ses extraordinaires talents de pilote, ne manquait pas de charme. Même sa mise de style impérial était intéressante – à sa façon rétro.
Je me demande si ma mère a éprouvé ces sentiments quand elle a rencontré mon père…
Dès que cette pensée se fit jour en son esprit, elle se morigéna, retirant sa main de l’épaule de Fel.
Oh non ! Je ne tomberai pas amoureuse d’un type qui pense que l’austérité est normale chez l’être humain ! De plus, ce n’est ni le lieu ni l’heure !
Fel eut un petit sourire.
— En dépit de ce que j’ai pu vous amener à penser, les Chiss sont un peuple réfléchi, mais ils ne refusent pas l’imaginaire. Ils se demandent parfois ce qu’ils feraient si leur vie était différente. Qui ils auraient rencontré, ce qu’il serait advenu d’eux…
— Et vous me dites ça parce que… ?
— Parce que… Je me demandais ce que mon oncle Wedge aurait pensé de mon frère aîné.
— L’ennui, c’est que ce n’est jamais aussi simple. Parfois, une rencontre est un prélude, parfois, un simple hasard.
— Si j’avais dit ça, vous m’auriez accusé de parler de nouveau comme si j’étais votre père !
— Peut-être pas. Ce qu’il y a de bien, quand on est adolescent, c’est qu’on peut prendre des décisions d’adultes quand c’est nécessaire, et laisser faire le reste du temps.
Corran se sentait mal à l’aise dans sa combinaison environnementale. Il transpirait. Pourtant, la température de la combinaison, plutôt basse, le faisait frissonner. Et il n’aimait pas la façon dont les excroissances modifiaient l’aspect de la navette.
Il jeta un coup d’œil à Wedge.
— Vous n’avez pas besoin de venir… Si quelque chose vous arrivait, Iella et les enfants ne me le pardonneraient jamais.
— Et vous croyez que Mirax me pardonnerait si quelque chose vous arrivait ? C’est comme au bon vieux temps…
Les deux hommes approchèrent de la rampe d’accès de la navette. Les techniciens avaient apporté un escabeau roulant qui leur permettrait d’accéder au ventre de l’appareil.
Une énorme excroissance couvrait l’écoutille d’accès, ressemblant à une hideuse cicatrice.
— Qu’en pensez-vous, Wedge ?
— Votre sabre laser devrait pouvoir ouvrir la coque, mais qui sait ce qui se cache à l’intérieur ?
— Exact. (Corran approcha du panneau de télécommande d’ouverture.) Cette excroissance-là est plus déchiquetée que les autres. Il y a même des sortes d’épines.
Il leva une main gantée… Une des épines se tourna vers elle ; une aiguille en sortit, sans percer le gant. Pourtant, elle frappa assez violemment pour faire reculer la main de Corran de plusieurs centimètres.
Il sauta de l’escabeau.
— Ça va ? demanda Wedge.
— Oui, soupira Corran. Si ce commandant a pris la peine de m’envoyer une « preuve » de son estime, il veut sans doute que je puisse la récupérer. Avec une sorte de code…
— C’est raisonnable.
Corran sortit son sabre laser et l’alluma. Puis il tendit la main gauche à Wedge.
— Enlevez mon gant. Je vais toucher ce truc à main nue. Si quelque chose de bizarre arrive, adieu ma main !
Wedge fronça les sourcils.
— Est-ce bien judicieux ?
— Pas vraiment, mais ai-je le choix ? J’ai laissé assez de sang sur Bimmiel pour qu’ils aient un échantillon de ma structure génétique. Je parie que ce truc s’ouvrira dès qu’il m’aura « goûté » de nouveau.
— Ne vaudrait-il pas mieux verser un peu de votre sang dans une coupe et le lui offrir ?
— Possible… Mais pas pour un Corellien.
Corran tendit le bras. Une aiguille se planta dans sa paume. Il regarda une gouttelette perler de la petite blessure.
— Nous aurions dû penser au poison, non ? fit-il.
Avant que Wedge puisse répondre, l’excroissance se craquela, laissant couler un mucus épais qui se cristallisa pour former… une rampe d’accès.
Sabre laser activé, Corran s’y engagea.
Plongée dans la pénombre, la navette était uniquement éclairée par des créatures bioluminescentes.
Les panneaux intérieurs avaient été arrachés ou écrasés. Des excroissances bizarres, certaines ressemblant à des racines, d’autres à des pointes de corail, s’y répandaient.
Quand les deux hommes entrèrent, les excroissances se ratatinèrent. Les filaments les plus longs se fendirent, exsudant un fluide noirâtre.
— Je ne comprends pas, avoua Corran.
— Moi, oui, dit Wedge. Ces trucs nous scannaient pendant que nous examinions la navette. Ils relayaient sans doute des informations tant que l’appareil n’était pas ouvert. Maintenant, ils meurent si vite que nous ne retirerons rien d’utile des analyses. On dirait une pile de fumier se décomposant à la vitesse de la lumière.
— Si c’est le message de Shedao Shai, je ne vois pas ce qu’il veut. Eh, attendez, c’est quoi, ça ?
Vers l’avant de la section passagers, une forme ovoïde de grande taille était couchée sur le côté. On eût dit la coquille d’une créature marine, à la jointure soudée par des excroissances.
Quand les deux hommes approchèrent, le villip posé au sommet de l’ovoïde prit l’apparence du visage d’Elegos. La boule de protoplasme n’avait pas de fourrure, mais sa couleur dorée imitait celle du Caamasi. Elle avait des rayures pourpres autour des yeux.
Le villip imita la voix d’Elegos.
— J’aurais beaucoup à vous dire sur les Yuuzhan Vong. Hélas, le temps presse. Shedao Shai m’a beaucoup appris. Les Yuuzhan Vong ne sont pas des prédateurs sans cervelle, mais une espèce complexe dont la philosophie est l’antithèse de la nôtre. Je n’ai pas découvert l’origine de leur haine des machines. Pour le reste, il est possible de trouver un compromis. Ma mission a été difficile, mais pas stérile. J’ai l’espoir de continuer à progresser.
Le villip sourit.
— Lors de nos nombreux débats, Shedao Shai a été intrigué par l’histoire du grand amiral Thrawn, qui étudiait les arts de l’ennemi pour mieux le connaître. Shedao Shai a du respect pour vous, Corran Horn. Il sait que vous étiez sur Bimmiel. Les deux guerriers que vous y avez tués appartenaient à sa famille. Il sait aussi que vous étiez sur Garqi. Un jour, vos destins se croiseront. Il a préparé à votre intention ce qui est dans cette coquille, afin que vous puissiez étudier son travail comme il a étudié le vôtre.
« Chaque jour, ma compréhension des Yuuzhan Vong augmente, et eux nous connaissent mieux. J’ai le ferme espoir d’être bientôt de retour pour célébrer la paix. Veuillez transmettre mon affection à ma fille et à mes amis. Ne craignez rien pour moi, Corran. Bien que cette mission soit difficile, elle est vitale pour éviter un désastre.
Le message terminé, le villip redevint une boule informe et roula sur le pont.
Corran regarda Wedge et frissonna.
— Je n’aime pas ça…
— Moi non plus. Vous allez ouvrir ce truc ?
— Je suppose… Si Elegos pensait qu’il s’agissait d’un piège, il aurait trouvé un moyen de me prévenir.
Corran leva la main gauche au-dessus de la jointure et serra le poing. Des gouttes de sang tombèrent sur l’excroissance, qui se craquela.
La coquille s’ouvrit lentement.
— Par l’enfer ! Non ! Oh… Non !
A l’intérieur se trouvait une œuvre d’art, préparée avec grand soin : un squelette assis en tailleur. Chaque os était gainé d’or, le sternum et l’extrémité des os longs plaqués de platine. Des pierres précieuses violettes scintillaient dans les orbites vides. Des améthystes nichées sur le crâne reproduisaient les rayures d’Elegos.
Les dents du squelette brillaient d’un éclat glacial dans la bouche sans lèvres.
Le squelette du Caamasi avait la tête baissée vers le villip reposant entre ses jambes. La boule se transforma, devenant un visage aux traits irréguliers. La voix, rauque et hésitante, maîtrisait le basique, mais elle avait du mal à le prononcer.
— Je suis Shedao Shai. Vous étiez sur Bimmiel. Vous avez tué deux membres de ma famille et vous les avez laissés en pâture aux prédateurs. Je vous offre ces os pour que vous sachiez de quelle manière il convient de traiter les dépouilles des soldats yuuzhan vong tombés au combat.
« Je regrette que vos actes m’aient forcé à tuer Elegos. Et je veux que vous sachiez que je l’ai fait moi-même, à mains nues. Pendant que je l’étranglais, j’ai lu dans ses yeux qu’il se sentait trahi. Mais, avant de mourir, il a compris la nécessité de sa mort. Vous devrez la comprendre aussi.
« Nous nous rencontrerons sur le monde que vous appelez Ithor. Si vous avez de l’honneur – Elegos m’a assuré que c’était le cas –, vous me rendrez les ossements de mon ancêtre. Sinon, vous ferez de la fin de votre ami une absurdité.
Le villip redevint inerte.
Corran sentit la main de Wedge sur son épaule. Le Jedi désactiva son sabre laser, plongeant la cabine dans la pénombre. Il tendit la main, essayant de retrouver quelque chose d’Elegos, sa chaleur… Il sentit seulement le froid de la mort.
— Wedge… Elegos était si pacifique… Il m’a sauvé des pirates et il a contribué à sauver Mirax… Son meurtrier prétend qu’il est mort à cause de moi ? Elegos n’a jamais fait de mal à personne, et ce monstre l’a assassiné pour me démontrer quelque chose ?
Wedge serra l’épaule de Corran.
— Les Yuuzhan Vong pensaient que c’était le seul message que vous comprendriez.
— Ce type s’est fait comprendre, c’est sûr ! Il veut les os de ses ancêtres, il les aura ! Et dans une grande boîte. Où j’ajouterai les siens, pour que les Vong puissent rapporter le tout là d’où ils viennent !